

INTERVENTION DE Michel POLACCO
A suivre sur :
- Spécialiste Consultant Aéronautique Espace Défense. polacco.fr.
- Chronique du ciel : aeromorning.com
- Gîte en Périgord : lechatelou.fr
Conférence à retrouver en vidéo sur : http://www.polacco.fr/pilotage-et-management-conference-devant-le-flying-business-club-le-29-janvier-2020/

Bonsoir à tous, très heureux de me retrouver parmi vous, je vois que je compte quelques bons amis et pas mal de connaissances dans la salle. Aujourd’hui, j’aborde un registre un tout petit peu différent, puisque je vais vous raconter le management d’un vol par un CEO. Un chief executive officer qui, bien entendu, n’opère pas tout seul puisque qu’il est accompagné d’une équipe ; dans l’aviation, ce qu’on appelle un équipage. Le sujet qui m’a été confié est l’amerrissage de l’A320 d’US Airways dans l’Hudson River le 15 janvier 2009. Ainsi, grâce à vous, j’ai relu depuis deux-trois jours tout le rapport d’accident du National Transportation Safety Board (NTSB) qui comprend aussi toutes les études qui ont été faites par Airbus, etc. Et je dois dire que j’y ai découvert des choses que je n’avais plus en mémoire et que je trouve passionnantes.
Effectivement, on a bien affaire là à une histoire de management – mais ne donnons pas dans le suspense puisque vous avez vu le film Sully j’imagine –, celle du commandant de bord, dont on nous montre d’une part le décollage, l’atterrissage et d’autre part les difficultés qu’il rencontre ensuite pendant une série d’auditions aux États-Unis. Bon, la fin vous la connaissez mais évidemment je ne vous la raconte pas.
« Le pilote, c’est toujours un manager… et le seul maître à bord »
Du coup, cela m’amène à rappeler quand même que le pilote, c’est toujours un manager, que depuis que ce métier existe et notamment dans la marine, c’étaient des capitaines, mais aussi les seuls maîtres à bord après Dieu, et Dieu sait si on ne se privait pas de leur faire des reproches quand ils ne se conduisaient pas bien. Par exemple, ils étaient les derniers à pouvoir quitter le navire quand ils respectaient les règles éthiques des marins, ce qui n’a pas été le cas de tous d’ailleurs, mais enfin bon !
Il est vrai que l’équipage est isolé même si aujourd’hui, c’est un peu différent. Vous voyez, par exemple, le centre de coordination des opérations d’Air France, ou des compagnies aériennes comme US Airways et autres., est en liaison quasiment permanente avec les avions, leur transmet des informations météorologiques, des informations techniques… A travers cela, je veux dire qu’on a fait des progrès en vingt ans, et même moins, en dix ans, oui, on a fait des progrès absolument considérables.
« Traiter la crise… en 3 minutes 50 secondes »
Il n’en reste pas moins que nourri de tous les savoirs qu’il a acquis, de tous les conseils qu’on peut lui transmettre et de toutes les idées qu’on fait passer, à un moment donné, l’équipage se retrouve obligé de traiter des situations qui sont parfois des situations de crise, des crises graves ou moins graves. Crise qu’il doit identifier. Parce que mine de rien, c’est facile de dire « traiter une crise », encore faut-il savoir qu’elle est l’amplitude de la crise, comment on peut la traiter et parfois, comme dans l’affaire qu’on étudie aujourd’hui, tout s’est joué en trois minutes cinquante.
C’est-à-dire qu’on a là un avion qui décolle de New York à LaGuardia en parfait état avec 150 passagers à bord et cinq membres d’équipage. Tout se passe très bien et puis nous allons arriver en peu de temps à une situation qui est globalement une situation désespérée.
Donc cela m’amène quand même à rappeler que l’incident mal géré peut entraîner une catastrophe ; c’est-à-dire que dans certains cas où l’analyse de la situation a été mauvaise, la réaction a été mauvaise, la catastrophe qui ne devait pas arriver, car tout était fait et prévu pour qu’elle n’arrive pas, s’est produite. Il y a des exemples et, si vous voulez, tout à l’heure, on pourra en parler. Mais il est vrai que rien n’est jamais perdu sauf dans certains cas, mais même dans ces cas-là, il y a deux solutions : il y a l’équipage qui se bat et puis il y a l’équipage qui reste tétanisé. C’est une situation que l’on connaît très très peu l’équipage qui reste tétanisé.
J’ai une source d’informations, que vous connaissez sans doute, qui s’appelle The Aviation Herald, que je regarde à peu près tous les jours qui me raconte à peu près tous les jours les dix à quinze incidents ou accidents qui se sont produits dans le monde. La plupart du temps, ils ne sont pas très graves, vous le sauriez sinon, mais il y en a quand même pas mal !
Jérôme, tu parlais tout à l’heure de femmes. Jamais on ne notifie que l’équipage était masculin ou féminin, mixte, parce que cela ne fait même plus partie de l’analyse ou du discours dans cet univers aéronautique. Personne ne considère que l’opérateur féminin ou masculin marque une différence. Donc voilà, j’élimine la dernière photo de ta présentation de tout à l’heure.
L’équipage est tout au bout d’une chaîne
Une dernière chose avant de revenir à notre affaire. L’équipage qui est à l’avant est constitué d’un chef, d’un sous-chef, quelquefois même d’un sous-sous-chef et quelquefois encore de quelques autres participants. Il est tout au bout d’une chaîne, comme le chef d’entreprise. Il a fallu en effet que des ingénieurs imaginent une machine, un système de contrôle, que des ingénieurs imaginent un aéroport, que des techniciens, des administrateurs, des fonctionnaires pondent des réglementations, que tout ça soit mis en œuvre, fabriqué, conçu, certifié, validé, etc., pour que le système réponde à sa règle de base, laquelle depuis environ une vingtaine d’années, dit qu’une seule panne majeure ne peut pas être à l’origine d’une catastrophe. Règle qui dit aussi que le niveau de sécurité doit être de l’ordre de 10-9, qui est un chiffre absolument gigantesque.
« Niveau de sécurité de 10-9 et ambition majeure de zéro mort »
Savez-vous que l’année dernière, il y a eu plus de 40 millions de vols dans le monde ? C’était une très mauvaise année puisqu’il y a eu cinq accidents d’avion, qui ont fait entre 250 ou 300 victimes, dont le fameux vol du Boeing 737 d’Ethiopian Airlines. Mais en 2017, il y en a eu zéro sur des avions de plus de cent places. Quand vous comparez les quatre ou cinq accidents aux 40 millions de vols avec un nombre de 4 milliards de passagers largement dépassé, vous constatez qu’on est quand même arrivé à un système extrêmement sûr même s’il sera toujours insuffisamment sûr tant qu’on ne sera pas arrivé au zéro mort qui est l’ambition majeure.
« Chaque participant à cette immense chaîne joue un rôle essentiel »
A travers cela, je voulais simplement souligner que chaque participant à cette immense chaîne joue un rôle important. N’oubliez pas que l’opérateur au sol turc qui a fermé la porte de la soute sur le DC 10 de la Turkish Airlines en 1974 et qui n’a pas vérifié si les crochets étaient bien attachés a été le responsable de 350 et quelques morts. L’avion s’est dépressurisé en vol, le plancher s’est effondré, les commandes de vol ont été coupées et l’avion s’est écrasé dans la forêt d’Ermenonville. Chaque opérateur donc, qui fait en quelque sorte partie de l’équipage même s’il n’est pas à bord, est quelqu’un d’essentiel dans la chaîne. Cela m’amène à reprendre cette petite phrase de Saint-Exupéry que j’aime beaucoup, parce que je n’aime pas trop quand on parle des pilotes, qu’on s’imagine que le pilote est tout dans l’avion. Il n’y a
pas de pilote sans contrôleur, il n’y a pas de pilote sans équipage. Si l’équipage vient déranger le pilote à un moment critique, cela peut entraîner un accident. Si au contraire, il vient lui apporter une aide à un moment important, cela peut être un facteur de sécurité. Il y a aussi bien sûr le contrôleur du ciel qui participe énormément à la sécurité, enfin le policier qui participe à la sureté et les services de renseignements. Penser qu’après qu’un avion s’est posé en bon état et que tout le monde a pu débarquer on doit juste applaudir le pilote, quelque part, c’est assez injuste.
Alors notre affaire, puisque je vous raconte une histoire, le 15 janvier 2009, un Airbus A320, classique, relativement ancien maintenant, décolle, à 15 heures 23 minutes 33 secondes, heure locale, du terrain de LaGuardia, qui n’est pas loin de Manhattan, à New York. Il y a 150 personnes à bord plus cinq membres d’équipage. Quelques secondes après le décollage, lorsque l’avion atteint 3 060 pieds très précisément, l’équipage, qui a entendu un bruit bizarre et qui a perçu des alarmes, constate que les deux moteurs sont inopérants. Et l’avion est à 3 000 pieds. Il est très lourd. Il est au maximum de sa charge autorisée. Ils ont vu le vol d’oiseaux qui les a perturbés, il y en a qui crie « Birds ! » et puis là… schlack !
On retrouvera la trace d’ADN de près de 300 oiseaux – ce qui est absolument considérable ! – dans les moteurs remontés de l’eau dont on analysera les parties extérieures et internes. Outre ces traces d’ADN, on retrouvera dans chaque moteur une à deux oies d’un poids de plus de huit kilos, j’y reviendrai tout à l’heure.



Les pilotes sont Chesley Sullenberger et Jeffrey B. Skiles, et je tiens à ce que le nom du co-pilote soit mentionné. On a noté aussi que les personnels navigants commerciaux ont été efficaces et qu’une fois l’avion posé dans l’Hudson River, les passagers ont tous été évacués dans des délais raisonnables et conformes, d’ailleurs, à la certification de l’avion. Alors vous voyez sur la carte l’aéroport de LaGuardia, vous avez le « BirdStrike », la rencontre avec les oiseaux qui se produit ici, l’avion est à 3 060 pieds, son taux de descente en planner est de 1600 pieds/min. Si on choisit une vitesse bien appropriée, on peut gagner un peu, d’ailleurs vous allez voir qu’ils vont gagner un petit peu. On a affaire, ce jour-là, à deux pilotes qui regardent l’environnement autour d’eux, qui ont la culture que vous avez tous, c’est-à-dire le demi-tour normalement c’est la mort ! En plus, il ne faut pas oublier qu’à LaGuardia, il y a un grand nombre d’avions qui se posent dans tous les sens, qu’il y a un trafic absolument énorme ! Que pour réussir à se remettre là-dedans, ce n’est pas facile ! Il faut envoyer des messages radio, enfin il faut faire des tas de choses. Il y a des aéronefs qui se baladent dans le coin, il y a une alarme de collision qui se produit, ils sont dans un environnement qui est absolument épouvantable. Et donc ils vont avoir à gérer cette crise. C’est un équipage normal, le commandant de bord a 20 000 heures de vol, ce n’est pas faramineux. C’est un ancien pilote militaire, il a passé quelques années dans une autre compagnie civile, il connaît pas mal son avion mais ce n’est pas un vieux spécialiste des airbus. Quant au co-pilote, il a, lui, trente heures sur l’A320, ce n’est donc pas vraiment un pilote expérimenté sur cet avion même s’il a de 8 000 à 9 000 heures de vol. L’avion, c’est un avion normal.
Le commandant de bord est donc un ancien militaire, mais il a été instructeur, il a été expert sur des affaires de sécurité et d’accidents et il a beaucoup réfléchi sur la question des facteurs humains, de cockpit, de ressource, de management… Enfin, c’est un bonhomme qui est très impliqué dans son univers.
L’avion, oui, est un avion normal puisqu’il décolle, que tout se passe bien, sauf que c’est un Airbus A320 et que sur l’Airbus A320 il y a des commandes de vol électriques, et que les commandes de vol électriques apportent la protection du domaine de vol, on va donc appeler la protection contre le décrochage par deux moyens. L’un qui va limiter les actions qu’on peut commander sur les gouvernes et le second, s’il est opérationnel, qui va permettre d’agir sur la puissance des moteurs. Alors là, la puissance des moteurs, il n’en est plus question. Cela dit, lorsque l’incident se produit, c’est-à-dire à 15 h 27 min 10 s, le commandant de bord reprend les commandes à la main, il ne sait pas très bien alors ce qu’il s’est passé. Je vous ai dit qu’il a décollé à 25’33, il est 27’10, il est monté à peu près pendant deux minutes, c’est pour ça qu’il est arrivé à 3 000 pieds. Il y a de nombreuses alarmes, GPWS, parce qu’il est en descente et qu’il y a une approche du terrain qui n’est pas prévue avec le train rentré, les volets rentrés, etc. Une alarme TCAS parce qu’il y a un hélicoptère qui est en train de faire un transit, et d’ailleurs, qu’il va croiser de très très près même si les contrôleurs de LaGuardia vont essayer de le dérouter. Il y a tellement de trafic que ce n’est pas très évident. Le commandant de bord connaît deux choses : le rallumage des moteurs sur un turboréacteur, cela se fait assez facilement de 20 000 pieds, en-dessous, c’est autre chose. La deuxième chose (qu’il n’avait probablement pas en tête, mais on ne le sait qu’après), c’est que dans les manuels de certifications de cet avion, l’amerrissage est une chose possible en arrivant dans une certaine position, avec une certaine configuration de volets, etc. Mais il faut être largement au-dessus de 3 000 pieds. Et lui, là, est déjà en train de descendre. C’est alors qu’il a un réflexe qui va être salvateur : il commande immédiatement à son co-pilote d’allumer l’auxiliaire puissance unit, c’est-à-dire, le petit réacteur qui est à l’arrière et qui va fournir à son avion de l’électricité, de l’hydraulique, qui va lui permettre de rester en loi normale, c’est-à-dire que toutes les protections qui existent sur l’avion restent opérationnelles. C’est un facteur qui va jouer un rôle important. On remarquera que les deux hommes ne se parlent quasiment pas. Ce sera un facteur discuté lors des auditions, parce qu’on va se dire : « Bah ! oui mais un équipage ça parle », et Sullenberger de répondre : « Oui mais on n’avait pas le temps de faire un congrès ! En gros, on était à deux minutes, deux minutes trente du toucher, trois minutes quand on a un peu près compris qu’on ne remettrait pas en route, voilà. » Donc, l’équipage discute peu. Alors qu’ils ont la possibilité du demi-tour, il y a un terrain nommé Teterboro qui leur est proposé par les contrôleurs. Celui-ci n’est effectivement pas très loin, sauf que pour aller à Teterboro, il faut survoler une immense zone habitée, et que pour revenir à LaGuardia, il faut survoler Manhattan. C’est-à-dire qu’il va falloir faire un choix parce que si par hasard ça ne passe pas, ça ne va pas faire joli, pour les gens qui sont au sol et pour ceux qui sont à bord. Alors, à 15 h 29 min 25 s, le commandant de bord annonce aux contrôleurs : « Je me pose dans l’Hudson ! » Enfin, il ne le dit pas avec le calme et avec les mots que j’emploie. Il prépare donc son avion pour le poser tandis que le co-pilote poursuit les tentatives de rallumage parce qu’ils ont une certaine foi. On apprendra après d’ailleurs, qu’ils ont perdu un temps fou à essayer de rallumer les moteurs, mais qu’en fait c’était totalement impossible. S’ils avaient su cela, c’est-à-dire s’ils avaient eu un outil qui leur signifiant quels étaient les dommages dont souffraient leurs moteurs, cela leur aurait fait gagner de précieuses secondes. En effet, les secondes qu’ils ont consommées pour comprendre le problème et ensuite pour étudier son traitement sont des secondes qui ont été fondamentales. De même, ils ont commencé à dérouler la check-list de « moteur arrêté ». Celle-ci a trois sections, trois pages, il faut du temps pour la lire. Ainsi, dans l’A380 Qantas qui a eu une explosion non contenue sur un moteur Rolls Royce, il y a quelques années, le déroulement de la check-list – ils étaient cinq dans le cockpit – a duré cinquante-cinq minutes, avant que l’avion revienne se poser à Singapour. Cinquante-cinq minutes ! Dans le Douglass MD11 de la Swissair, qui allait de Boston à Genève, quand un feu s’est déclaré à bord, ils ont commencé à dérouler leur check-list « feu à bord ». Ils ont suivi la check-list impeccablement, sauf qu’au bout de vingt minutes, ils étaient tous morts ! Ça veut dire que pendant les vingt minutes où ils ont déroulé leur check-list, l’avion s’est tellement dégradé qu’ils sont passés en-dessous de la situation minimale, qu’il fallait délester du carburant, etc.
Cette question a été étudiée dans le cas de l’affaire de l’A320 de l’Hudson : le déroulé de cette check-list, c’étaient trente minutes !

Abandon des check-lists
Le commandant de bord de l’A320 décide, lui, à un moment donné, d’abandonner les check-lists ! Il envoie des messages aux contrôleurs, il prépare sa machine à l’amerrissage, il avertit très rapidement, et très sommairement les personnels navigants commerciaux que ça va se terminer dans l’eau et il se pose sur l’eau. Alors, si on regarde de près tout ça, on note que ce commandant de bord n’a pas respecté les check-lists, qu’il n’a pas respecté les procédures, qu’il a pris la décision qui sera contestée de se poser sur l’eau. A ce propos, on a fait énormément d’études, notamment chez Airbus à Toulouse. Il y a une vingtaine d’exercices qui ont été réalisés, avec des pilotes qualifiés, moins qualifiés, dans des simulateurs différents et, au début, à chaque fois les pilotes parvenaient à poser l’avion à Teterboro ou à LaGuardia. C’est ce que vous voyez dans le film Sully. Mais les hommes qui étaient dans le simulateur savaient qu’ils allaient faire face à l’arrêt de deux moteurs. Ils gagnaient donc tout le temps de réflexion, d’analyse, de décision, voire de coordination. Au début, on a donc considéré que l’atterrissage à Teterboro ou à LaGuardia aurait pu être possible. Or quand on a analysé sa trajectoire, ce que l’on n’a pas tellement dit, c’est qu’il n’a pas très bien tenu ses vitesses, ses assiettes, dans la procédure, normalement, il doit sortir volet 3 pour se poser, il n’est jamais allé au-dessus de volet 2, et quand son co-pilote lui a dit : « Je sors les volets 3 », il lui a dit : « Non tu restes à 2 ». On lui a demandé : « Pourquoi avez-vous décidé de rester à 2 », il a donné sa réponse et puis voilà, il s’est posé et tout le monde s’en est sorti.
Certification d’ingestion d’oiseaux
Dans la certification de cet avion concernant l’ingestion d’oiseaux, il est spécifié que les moteurs doivent être capables d’ingérer un oiseau de 4 livres, c’est-à-dire 2 kilos par moteur, et qu’une fois l’ingestion réalisée, les moteurs ne doivent pas prendre feu et ne doivent pas avoir perdu plus de 5% de leur puissance. Dans notre cas, quand l’avion a heurté le vol d’oies du Canada, un de ses moteurs a perdu immédiatement 85% de la puissance et l’autre en a perdu immédiatement 65%. Une situation qui n’est pas prévue.
Certification à l’amerrissage datant de 1987
Personne ne savait que cet avion était certifié pour l’amerrissage. Sans doute lors de la première qualification, on avait dû leur en dire un mot, mais comme on a toujours considéré que c’était quelque chose de quasiment infaisable, même pour la certification à l’époque, on s’est basé sur des études qui avaient été faites précédemment. Il se trouve que pour la certification de l’Airbus A320, qui vole quand même maintenant depuis quarante ans, on a utilisé les essais qui avaient été réalisés en bassin hydrodynamique sur l’A300 B2 et sur le Mercure de Dassault et c’est avec ça qu’on a dit, normalement si cet avion arrive sous tel angle, à telle vitesse, il doit arriver à se poser sans se casser. Bon simplement, le pilote, lui, n’a jamais fait d’entraînement à cela, il n’a jamais pu essayer de le faire. Il n’est pas évident qu’il se souvienne de cette procédure, parce que ce n’est pas le genre de chose que l’on révise quand on fait ses checks. On a appris à cette occasion que pour le Boeing 737, par exemple, il y avait un problème, c’est que le nez retombait trop et qu’il fallait appliquer une procédure pour le cabrer parce que sinon il risquait de s’enfoncer dans l’eau et de ne pas arriver à flotter. Tout cela, pour vous dire que ces questions ont été étudiées, cela fait partie de la certification, et que, en plus, tous ces éléments ont changé entre le moment où l’avion a été certifié en 1987 et le moment où se sont produits les faits en 2009. Et, évidemment, on ne demande pas aux constructeurs, sauf dans des cas très spécifiques, de remettre leurs avions au niveau des nouvelles normes de certification.
Certification 737 Max
Cela rappelle l’histoire du 737 Max, un avion certifié en 1967 et qui vit avec sa certification et des petits ajouts, des variations, des évolutions de certification mais qui n’est pas à chaque fois, quand il y a une nouvelle version, recertifié. Mais tu dois connaître ça mieux que moi mais je pense que tu es d’accord. Enfin toi tu as construit des avions, moi non.
Une expérience bien utilisée… et un minimum de temps perdu
Alors, je vous ai dit que ces pilotes n’ont pas été parfaits, dans le film, on voit bien qu’on leur fait des reproches ; on voit aussi que ça se termine bien.
En fait, dans les conclusions du rapport du NTSB, il est noté : qu’ils ont fait appel à leur expérience et qu’ils l’ont bien utilisée, qu’ils ont été manifestement fortement stressés, mais que malgré leur stress, ils ont été capables de manager la situation et de perdre un minimum de temps. En effet, le temps perdu varie entre trente-cinq et cinquante secondes avant que les choses ne soient reprises en main, qu’ils envisagent l’Hudson et qu’ils commencent à discuter avec les contrôleurs qui veulent les envoyer à New York… Ils ont fait un choix. Manhattan, Teterboro, au cas ça se terminait mal, c’était grave pour d’autres aussi. Ils ont eu ce jour-là la chance d’avoir de nombreux bateaux autour d’eux. Ils ont eu la chance que ce jour-là les conditions VFR soient bonnes après le décollage, puisqu’il y avait Few à 4 000 pieds, ce qui signifie, je crois, qu’il pouvait y voir pour se poser. Ils ont eu la chance d’utiliser un avion sur lequel il y a cette fameuse « Alpha Prot », laquelle n’a fonctionné que parce que le commandant de bord a eu l’idée de rallumer très vite son Auxiliaire Puissance Unit et, du coup, comme il a eu des imprécisions d’assiettes, de cabré… cela a été corrigé par le système de l’avion. Cela l’a aidé, même s’il s’est posé un peu vite. Il s’est posé à 125 nœuds et on a dit à cette occasion qu’il faudrait rappeler aux pilotes d’airbus que lorsque l’avion est en loi normale – honnêtement, il faut quand même le savoir, parce que tout ça il faut l’analyser, le voir, le comprendre –, on bloque le manche à cabrer et on descend, l’avion se débrouille. Il ne décrochera pas, ça c’est sûr. Sullenberger était moins sûr que ça, donc il n’a pas voulu sortir tous les volets, il s’est gardé un peu de vitesse, il voulait se donner la possibilité d’adapter son assiette au moment du toucher et il a réussi.
De bonnes initiatives et un bon travail en équipage
Finalement, on a dit : « Il a eu de bonnes initiatives y compris sur le fait d’avoir choisi de faire une déviation par rapport à la procédure en ne sortant les volets qu’à deux et pas à trois. » Pour la coordination de l’équipage, on a vu qu’ils se sont très peu parlé, mais que chacun a vraiment bien fait son boulot et qu’ils n’ont surtout pas perdu de temps à se chicaner… On note à cette occasion que le co-pilote qui était juste formé sur le 320 avait encore en mémoire les emplacements des check-lists d’urgence. Cela ne faisait que trente heures qu’il volait sur l’avion, et c’était encore très frais, donc il a ressorti ces check-lists, parce que quelquefois c’est long. Aujourd’hui, on les sort sur Ipad, mais c’est quand même long. Et comme il n’y avait plus d’électricité à bord, parce qu’une fois qu’ils ont touché, ils ont tout coupé, il n’y avait plus de « public address » pour parler à l’équipage et pour leur dire d’évacuer les passagers, alors ils ont ouvert la porte et ils se sont mis à gueuler : « Evacuez ! » On a noté aussi l’action efficace des personnels commerciaux qui ont commencé à chercher la porte qui convenait bien pour pouvoir évacuer les passagers, qui ont géré des passagers indisciplinés, car il y a eu des passagers indisciplinés !
Commentaire donc sur celui qu’on appelle « un héros ». Le NTSB a conclu que le capitaine avait difficilement maintenu sa vitesse durant l’approche finale et que cela résultait de sa forte charge de travail, du stress… Oui ! Mais le NTSB a conclu que le professionnalisme de l’équipage et son excellente capacité à travailler en équipe durant la séquence de l’accident avaient contribué à leur habilité pour maintenir le contrôle de l’avion, qu’ils avaient choisi une configuration qui convenait aux circonstances, qu’ils avaient piloté leur approche de telle manière que cela avait augmenté les chances de survie des passagers lors de l’impact. Et donc, le récit d’une succession d’anomalies, avec des gestionnaires, des patrons d’un avion qui ont pris des initiatives, qui sont non conformes aux procédures, non conformes à ce qu’on leur a appris, qui leur ont permis, et tout le monde l’a reconnu, de sauver l’avion, l’équipage et les passagers.
Combien de pilotes à bord ?
Et cela m’amène à dire qu’aujourd’hui il y a un grand débat sur combien de pilotes à bord, trois pilotes, deux pilotes, un pilote, single pilote operating ? Dans ce dernier cas, s’il est malade, cela signifie zéro pilote donc ? Que ce soit chez Dassault, chez Airbus ou chez Boeing, les constructeurs ont déjà prévu cette situation, le passage à « single pilote » se ferait sur des avions totalement autonomes, capables d’être totalement autonomes.
Non pas pilotés du sol, parce que manifestement, c’est une formule qui n’intéresse personne. Piloter du sol, c’est considéré comme dangereux, les hackers… Ils sont beaucoup plus favorables à l’idée d’un système embarqué autonome qui serait capable de gérer les situations comme d’ailleurs Garmin vient d’en sortir un capable de faire un return to field. Mais une fois qu’on les a entendu expliquer, comme ils le font partout, on va enlever les pilotes des avions dès que les compagnies nous le demanderont, on décolle tout seul, avec des passagers à bord quand même…
En fait, il n’y en a aucun qui veut enlever les pilotes des avions. Enlever les pilotes des avions ça fait passer de 10-9 à 10-6, c’est-à-dire que cela ne sera jamais certifié. Il n’y a aucune réglementation dans le monde, aujourd’hui, qui est en mesure de certifier des avions sans pilote. Donc, à priori, on va descendre à deux pilotes. Peut-être que sur des avions de fret, on ira sur des appareils avec single pilote qui seront effectivement des avions tout automatiques. Et donc, cela veut dire que l’homme, avec ses initiatives, son émotion, son expérience personnelle, sa capacité à être discipliné ou désobéissant, est capable de gérer des situations qu’à priori des machines ne savent pas gérer. J’en parlais ce midi avec quelques amis, l’intelligence n’est pas un algorithme, donc l’intelligence artificielle qui découle totalement d’algorithmes, à priori, est quelque chose dont il faut, aujourd’hui en tout cas, se méfier et sans doute pour encore assez longtemps. Je vous remercie.
Stéphane MAYER : Merci Michel de ce récit pour une aventure que je trouve absolument fascinante. J’ai eu la chance d’assister aux Etats-Unis à une conférence du pilote et du commandant de bord et aussi à une conférence, encore plus éprouvante, de la PNC qui était à l’arrière et qui a vu l’eau monter. Puisque, ce que tu n’as pas dit, c’est que l’avion s’est tout de même cassé.
Michel POLACCO : L’avion s’est cassé parce que le plancher arrière s’est brisé et il y a de l’eau qui est entré dans l’avion. C’est pour ça qu’on leur a reproché d’avoir posé l’avion un peu brutalement, trop vite.
Stéphane MAYER : C’est la personne qui a été blessée, je crois. Elle est venue nous expliquer ses sensations, ses émotions pendant une demi-heure-une heure, pendant cet exploit. Aussi, j’invite, pardon, tout le monde à écouter sur YouTube la vraie, pas le film, la vraie bande son des échanges entre le pilote et le contrôle où notamment on entend les quelques mots qui ont été prononcés : « J’ai un problème moteur » ; « Oui. Quel moteur ? » ; « Les deux. » ; « Répétez. » ; « Les deux. » ; « Oui. Quelles sont vos intentions ? » et à la fin il dit : « We are going to be in Hudson ». Et moi, je trouve qu’il y a un calme qui est incroyable. Incroyable à ce moment-là.
Michel POLACCO : C’est le miracle du stress, du bon stress. Certains d’entre nous ont vécu de telles situations. Pour ma part, j’ai une fois vécu un truc comme ça. C’est absolument impossible de se dire comment on sera dans une telle situation et c’est extrêmement étonnant de se dire après : « J’ai été tellement occupé à faire mon boulot que je n’ai pas eu le temps de m’inquiéter. » J’ai décollé un jour d’Issy-les-Moulineaux avec un rotor de queue goupillé sur un écureuil. Faut le faire quand même ! Ça s’est mal passé une fois que j’étais en l’air et déjà une fois avant ça ne se passait pas bien. Et je me suis reposé et franchement, c’était une sacrée gymnastique ! et ça s’est drôlement bien passé. Puis après, je me suis dit : « C’est incroyable ! Je n’ai jamais eu peur. » C’est fou !
Stéphane MAYER : Oui, c’est impressionnant. Bravo !
Michel POLACCO : Je vais répondre à vos questions, après ces petits commentaires et cet échange sympathique et amical.
Alors dans le film, dont l’intrigue repose sur la question : « Est-ce que le pilote est un héros ou, au contraire, coupable d’avoir cassé un avion », il y a un des tournants particulièrement intéressant, en rapport avec les deux présentations précédentes, qui concerne la prise de décision. Sullenberger arrive à démontrer au NTSB qu’en fait s’il n’a pas réussi, comme les autres pilotes (tranquillement installés dans le simulateur à Toulouse qui se préparaient mentalement, physiquement à T zéro à Paf ! Demi-tour à gauche, puis virage et retour), c’est qu’avec un temps de prise de décisions de quarante-cinq secondes, sa solution était la seule solution. C’est dans le film, mais c’est la vérité.
Stéphane MAYER : Mais est-ce que cela est vrai ? C’est ça la question.
Michel POLACCO : C’est la vérité. Vous trouverez cela dans le rapport d’accident du NTSB, si vous voulez, je l’ai ici, si je peux vous le faire passer, sinon il est facile à trouver. Ça y est ! Et c’est absolument fabuleux parce qu’à un moment donné, on dit, chez Airbus aussi, parce que même chez Airbus, ça les ennuie que leur avion puisse être sujet à des reproches… Donc ils ont plutôt, on vient de dire, il ne s’est pas cassé parce qu’il a des Fly-By-Wire… mais c’est marrant cette approche quand même, dans laquelle on a toujours besoin d’avoir un coupable. Et à un moment donné, il est évidement que tous les essais démontrent, que si au moment du choc avec les oies, l’avion part immédiatement vers la piste 13, je crois, de LaGuardia, ou vers 20 ou 24, je ne sais plus, de Teterboro, il a une chance de se poser. Voilà. Sauf que cela veut dire, que les hommes sont prévenus depuis un petit bout de temps quand même. Sauf que ce n’était pas le cas. Donc, voilà. Non, non, c’est absolument fabuleux. Je crois que le « Hearing » tel qu’il est présenté dans le film est un peu exagéré. C’est pour donner un peu de suspense. Enfin quand même, quand vous lisez le rapport, je vous jure, c’est impressionnant de voir, ça a été sacrément fouillé ! Vraiment ! ça a été fouillé. Ils n’avaient aucune chance de passer au travers d’une faute commise, d’ailleurs, ils sont accusés de faute dans le rapport. En revanche, il a été impossible de ne pas leur trouver des excuses et in fine, de ne pas les féliciter.
Question : Est-ce que cet accident et les autres ont changé la façon dont on gérait les check-lists de cinquante-cinq minutes ?
Michel POLACCO : A ma connaissance, on ne sait pas encore le faire. Rolls Royce a changé la pièce qui était susceptible de frotter et de provoquer une fuite et donc une explosion du moteur non contenue… Ils ont retravaillé sur leurs moteurs, mais à ma connaissance les check-lists sont restées les mêmes parce que l’avion a été certifié avec ces check-lists. Vous voyez, il y a quand même aussi ce problème, c’est que la certification d’un avion prend des années. On croit que c’est le jour où l’avion est autorisé de vol, mais cela fait des années qu’il y a du personnel, de l’administration, des constructeurs, des trucs, des machins, etc., qui bossent et des euros, des millions d’euros. Donc pour changer les check-lists il faut vraiment avoir un truc, alors il y a des choses qui ont été changées sur certaines check-lists mais il y a des choses qu’on n’a pas su changer. Sur l’A380, à ma connaissance, il n’y a pas eu de modifications majeures, parce qu’on a considéré que la faute incombait aux pilotes, d’ailleurs il y avait quand même trois moteurs à côté, mais enfin ils avaient perdu, sur quatre ou cinq circuits hydrauliques, il n’en restait qu’un. Hydraulique ou électrohydraulique parce qu’on sait que sur l’Airbus 380, c’est partagé. Il y a eu quand même beaucoup de dégradation dans l’aile etc. Pour l’A320, il y a lors des premières qualifications une formation à la connaissance des procédures de pannes en-dessous de 3 000 pieds, mais honnêtement cette formation ne change quasiment rien au problème parce qu’il n’y a pas de solution. L’avion est certifié comme ça. Quand ils ont eu fini de travailler là-dessus, de terminer le rapport, d’écouter les recommandations de NTSB, ils ont dit que de toute façon le risque pour que cela se reproduise est extrêmement infime. Donc, on travaille beaucoup plus sur la protection des avions au décollage des aéroports, parce que là, il y a eu un progrès, un vrai progrès. Depuis Concorde, depuis l’A320 de LaGuardia, il y a eu un vrai progrès sur la surveillance des pistes et sur la surveillance du ciel dans les aéroports. Mais je ne pense pas qu’on ait trouvé d’autres solutions. Si, il y a eu la formation des équipages à savoir utiliser le Fly-By-Wire, après Habsheim. Moi j’ai fait ça une fois avec Pierre Beau je crois qu’on arrivait à descendre jusqu’à 87 nœuds avec l’Airbus A320, plein vol, manche au ventre. 87 nœuds, ce n’est pas vite ! Je ne suis pas sûr que le TBM ne fasse pas la gueule à 87 nœuds. A 65. Donc bon, oui c’est ça. On a besoin d’avoir 65 plus 1,2 ou 1,3. Enfin on peut descendre à 1,2. Mais c’est ric-rac et c’est vrai que c’est impressionnant de voir l’avion qui descend poliment. D’ailleurs, à Habsheim, vous regardez l’avion qui s’écrase dans la forêt, il s’écrase poliment, proprement, les ailes horizontales.
Question : Bonsoir, je profite lâchement d’éminents spécialistes et constructeurs d’avions pour vous demander si vous avez un pronostic sur la fin de l’aventure du 737 Max. Quel est votre meilleur pronostic sur la façon dont cette histoire va se finir ?
Stéphane MAYER : Michel, tu t’es déjà exprimé plusieurs fois en tant qu’expert sur ce sujet, que je ne connais pas dans le détail. Je suis convaincu que c’est tellement stratégique pour Boeing, pour les États-Unis qu’ils vont mettre les millions qu’il faut pour trouver des solutions. C’est leur produit principal, ce sont des volumes énormes, c’est la fin du match Boeing contre Airbus qui est en jeu donc ils vont mettre tout ce qu’il faut, quitte à refaire ce qu’il y a à faire, pour arriver à trouver des solutions qui permettent de recertifier l’avion. Bon moi, j’ai toujours douté de l’optimisme qui consistait à dire : on continue à les fabriquer. Je n’ai pas compris et j’ai fait un petit calcul en disant : voilà l’inventaire, les mètres carrés mais bon. Donc finalement, ils arrêtent mais ils vont repartir, ça j’en suis assez convaincu. Combien de temps ? Quels changements ? Quel coût pour Boeing ? Ça je ne sais pas. Mais Michel a des idées sur la question, je le sais.
Michel POLACCO : Au mois de décembre dernier, début décembre, j’ai été invité par Boeing pendant une semaine à Seattle. Il y avait vingt-quatre personnes venues du monde entier à qui ils ont essayé de vendre les modifications de leur fameux système MCAS, alors système anti-décrochage on va dire. Avant d’y aller, j’ai travaillé avec deux ingénieurs français, que nombreux d’entre vous doivent connaître et qui sont des grosses pointures, sur le problème du 737 Max, sur pourquoi ça s’est produit et comment on pourrait le remettre en vol rapidement. Quand je suis allé là-bas, j’ai rencontré les dirigeants de Boeing, Monsieur Muilenburg, le chef pilote, enfin vraiment tout le beau gratin et ils ne parlaient que du MCAS et des modifications qu’ils proposaient. Ils ont utilisé des PowerPoint pour nous montrer que grâce au MCAS une fois modifié, ils arriveraient à résoudre le problème. Et cela ne demandait pas de certification complexe bien sûr. Sauf qu’en gros, ils nous démontraient qu’avec le premier usage de MCAS, si cela ne se passait pas bien, le système se déconnectait. Donc du coup, il ne servait plus à rien. J’ai essayé de discuter avec eux dans le groupe… impossible ! ils n’ont pas voulu sortir du sujet. Alors après, je suis allé les voir, les deux, séparément et je leur ai demandé si c’était possible d’avoir un entretien privé parce que j’avais travaillé – moi, je ne suis pas ingénieur – avec des gens qui pensaient que premièrement : ils avaient perçu le problème et les problèmes même, et que deuxièmement : ils avaient des solutions à proposer et qui étaient proposées comme ça, gracieusement. Ils n’ont pas voulu avoir cet entretien. Je suis reparti de là-bas en me disant : ils sont dans le déni parce que cela faisait quand même déjà neuf mois que l’avion était cloué au sol, huit mois qu’ils produisaient sans livrer. Je ne comprenais pas bien. Ils m’ont envoyé un mail pour me dire : « Est-ce que vous auriez la gentillesse de nous envoyer un petit feedback de votre séjour à Seattle. Donc je leur ai envoyé, j’ai écrit une lettre dans laquelle j’ai marqué tout ce que nous avions envisagé comme causes mais sans mettre les solutions que nous avions envisagées et je l’ai fait relire, évidement, par mes amis et je la leur ai envoyée. Et ils m’ont répondu : « Bonne Année, merci Michel. » Terminé. Voilà. Huit jours après, ils annonçaient que la FFA ne repermettrait pas à l’avion de voler en décembre. Quelques jours après, Monsieur Muilenburg, le PDG, s’en allait, et quelques jours après ils annonçaient qu’ils arrêtaient la fabrication au mois de janvier. Je ne comprends pas cette entreprise qui vit dans le déni, je suis assez convaincu que les gens avec qui j’ai discuté sont vraiment des gens très sérieux. Je ne doute pas que chez Boeing il y a des gens très sérieux. C’est une très très belle et très grande maison. Je ne comprends pas comment ils peuvent perdre 1 milliard et demi de recette de dollars par mois. Comment leur production de 737, c’est 85 % des livraisons de Boeing, c’est 85% ! C’est-à-dire qu’aujourd’hui ils ne livrent plus que 15 %. J’ai vu voler le dernier 737 NG qui allait être livré. NG c’est la génération d’avant, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent même pas dire : on a des problèmes avec le Max on va ressortir le modèle d’avant. Ils n’ont plus de moteur, la chaîne est arrêtée, ils n’ont plus l’avion qui peut remplacer le 737 Max. Donc, il faut qu’ils le remettent en vol. La FAA s’est effectivement fait très peur sur les deux catastrophes parce qu’ils ont compris qu’ils avaient beaucoup trop délégué à Boeing et que de ce fait ils étaient susceptibles d’être attaqués et condamnés. C’est pareil pour l’agence européenne de sécurité aérienne et du reste il y a un très intéressant article dans Air Cosmos où il y a une interview de Patrick Ky, qui est le patron de l’agence de sécurité aérienne, qui dit : « Le problème ce n’est pas le MCAS, c’est un problème global de commande de vol ». Et quand on aborde le sujet de commande de vol, ça veut dire certification et donc ça veut dire que là c’est des mois et des mois, ce n’est plus quelques jours ou quelques semaines. Donc ils sont dans une « merde» profonde et je ne sais pas comment ils vont s’en sortir parce que pour l’instant je n’ai vu, je n’ai lu aucun signal montrant qu’ils prenaient le taureau par les cornes et qu’ils traitaient le problème de manière rationnelle. Voilà, c’est tout ce que je peux vous dire.
Jean-Luc KOCH : Merci beaucoup… Applaudissement… Merci Michel pour ce passionnant exposé.