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INTERVENTION DE JÉRÔME ARNAUD

DGA DE EDEIS

Jérôme Arnaud, Directeur général adjoint d’EDEIS, gestionnaire de 19 aéroports en France et outremer, est venu ensuite apporter son éclairage sur la même thématique. Il a partagé avec nous son expérience de travail en équipe entre les aéroports, les élus, donnant des exemples sur les moments de solitude que peuvent vivre des pilotes ou des politiques, ou comment les entraînements peuvent aider à mieux anticiper certains événements. Le management de tableaux de bord, l’innovation à nouveau au travers de nombreux exemples et anecdotes.

Lorsque nous gérons des aéroports, nos clients sont multiples. Ce sont à la fois les pilotes, les passagers mais aussi les collectivités qui choisissent des délégataires privés comme publics pour gérer leurs infrastructures aéroportuaires.

Un des symboles de la Normandie, le pont de Normandie, est une magnifique infrastructure, ici vue du ciel, la politique aéroportuaire normande a fait couler beaucoup d’encre, cette illustration nous permet d’entrer dans le vif du sujet. Le lien est fort entre politique et aérien. L’un peut avoir des répercussions importantes sur l’autre.

Les liens sont ainsi très forts entre pilote, politique et dirigeant. L’illustration présentée recueille de façon non exhaustive ce qui rassemble ou pas ces professions.

Travail en équipe et solitude

Le travail en équipe concerne tout l’ensemble des acteurs susmentionnés. Les politiques, notamment les élus locaux, disposent d’équipes en témoigne l’utilisation du terme « équipe municipale » lors, entre autres, des périodes électorales.

De la même façon, le manager travaille en équipe et l’on se rend compte d’ailleurs quand on gère des aéroports que l’on a rarement accès au plus haut niveau de décision ; on a accès finalement à l’équipe des services de la collectivité.

Le pilote peut être seul. Je suis persuadé que vous avez tous des vécus de moments de solitude à bord de vos aéronefs. L’élu est seul aussi, on parle de solitude du pouvoir, clairement vous pouvez être lâché par votre équipe, beaucoup plus en politique qu’en aviation, fort heureusement, mais ça arrive et donc on associe à la fois dans ces deux domaines « travail en équipe et solitude ».

Jean-Luc KOCH : Alors, est-ce que tu connais des politiques qui sont pilotes ? On voit souvent l’image des politiques qui ont une certaine difficulté à prendre des décisions.

Jérôme ARNAUD : En général, ce sont les plus performants.

Entraînement et formation

J’ai hésité à mettre cette photo pour illustrer le travail en équipe et puis finalement, je me suis dit que ça décrivait un peu mieux tout ce qui était entraînement et formation.  En fait je l’ai choisie parce que forcément, vous voyez l’équipe de France avec la patrouille Breitling, chaque patrouille aéronautique, c’est de l’entraînement, de l’entraînement, de l’entraînement, en début de saison, avant le début de saison, de l’entraînement avant le début de chaque meeting, il faut toujours une démo.

Clairement, les pilotes sont entraînés, sont formés et les politiques également. Il y a des organismes de formation : l’ENA pour ne pas la citer, qui forme nos plus hauts élus de la République. Mais il y aussi beaucoup d’entraînement et nos élus locaux le pratique au jour le jour. Plus ils avancent en âge, plus ils ont cette capacité à mener une équipe, à mener un projet, à avoir une vision.

Donc, on voit qu’il y a une vraie similitude entre l’entraînement du pilote qui va le faire de façon régulière et le politique qui va s’entraîner à travers ses meetings, qui va s’entraîner à travers l’expérience qu’il aura acquise au fur et à mesure du temps : il me semble que l’expérience c’est le résultat de la pratique au fil du temps.

Anticipation

L’élu peut anticiper ! Le politique peut anticiper ! C’est difficile. C’est clairement difficile pour le pilote aussi, c’est difficile parce que qu’il faut être devant le nez de l’avion. On retrouve cette expression en entreprise, dans le pilotage, mais également chez les élus.

L’élu doit pouvoir anticiper les mouvements de société. Et ils y arrivent mieux que quiconque, mais cela reste un exercice difficile, en témoigne le mouvement des gilets jaunes qui n’a été anticipé par personne.

Biais et tunnel cognitif

J’ai voulu reprendre également une théorie de Nicolas Bouzou sur le biais cognitif que j’ai trouvée assez intéressante, sur le fait que l’on pouvait être mal informé et que notre cerveau, finalement, pouvait être dans un tunnel et ne pas prendre en compte les paramètres extérieurs.

Cela arrive quand on pilote nos aéronefs, cela arrive quand on pilote une entreprise. On peut ne pas recevoir les signaux extérieurs et, bien entendu, ça arrive aussi quand on est un élu, élu local, élu au niveau national. Les élus peuvent être trompés par leur amour de leur territoire.

Il y a un certain patriotisme régional qui les amène à prendre des décisions ou d’affirmer des choses erronées. Il est possible de reprendre l’exemple d’un élu d’un territoire à une heure de Paris en TGV qui voyait déjà des centaines de milliers de Chinois transiter à travers son aéroport régional pour se rendre à Paris en TGV. La vision de l’attractivité de son territoire était telle qu’il pensait possible de concurrencer le territoire parisien.

Les élus sont des passionnés, des passionnés de leur territoire et de leurs administrés. Et c’est aussi ce qui nous caractérise tous. C’est finalement la passion. Si on est tous là c’est parce qu’on est passionnés.

Jean-Luc KOCH :  Qu’est-ce qui caractérise l’élu qui pilote ?

Jérôme ARNAUD : Il existe des élus qui pilotent. Ce sont des hommes et des femmes animés par la passion, la passion d’un représentant du peuple et la passion de pilote. Ce sont des personnes assez extraordinaires qui arrivent le plus souvent à avoir une vision sur long terme.

Environnement

L’environnement aujourd’hui, c’est la martingale des élus et c’est aussi un élément extrêmement important pour l’industrie aéronautique comme pour les pilotes.

Les procédures que nous suivons ont été faites pour la sécurité, bien entendu, pour la performance, mais également pour éviter les nuisances sonores, pour limiter, dans la mesure du possible, la consommation de carburant.

En tant qu’exploitant aéroportuaire, nous insistons notamment sur le respect des procédures de navigation aérienne établies par les organismes de navigation aérienne en collaboration avec les autorités aéroportuaires. Elles permettent de limiter l’impact de l’aviation sur la population, pour que cette aviation puisse perdurer. Par ailleurs, nous devons collectivement investir sur l’innovation qui permettra à moyen terme de réduire la trace de notre activité sur l’environnement tout en limitant les coûts d’exploitation.

Tableau de bord et gestion des alertes

On a tous des tableaux de bord. Le dirigeant d’entreprise, le pilote, n’en parlons pas ! C’est également le cas en politique, mais ce n’est pas le même. A chaque fois, ce sont des tableaux de bord totalement différents.

Le politique, son tableau de bord, cela peut être le nombre de cartes de vœux reçues, la presse, mais aussi les réseaux sociaux. C’est certainement ce qui le différencie le plus des pilotes qui se basent sur des données factuelles passées comme futures (prévisions météorologiques).

Check-list et innovation

Check-list comme innovation différencient également les élus des pilotes. La check-list d’un dirigeant d’entreprise est une stratégie, voire une procédure qualité, d’exploitation.

Le pilote, de la même façon, décline ses procédures.

L’élu n’a généralement pas de check-list. Il évolue en fonction de l’état de son tableau de bord qui peut être la presse comme les réseaux sociaux. L’élu innove pour rester en action et ainsi répondre aux attentes évolutives de son électorat. Le pilote arrive, tout en ayant des check-lists, à être innovant, puisqu’il s’adapte à l’évolution technologique et souhaite simplifier ses actions en vol tout en améliorant la sécurité.

La routine peut différencier le pilote du politique. Le politique n’est jamais dans une routine puisqu’il est toujours en train de réagir à des évènements.

Le pilote peut être amené à tomber dans la routine, surtout lorsqu’il fait les mêmes trajets ou qu’il vole dans les mêmes endroits. De la même façon, le dirigeant d’aéroport peut être entraîné dans une certaine routine. Il fait toujours la même chose : il accueille les avions, il les facture, il améliore la qualité comme la sécurité. Répondre à la demande des élus, c’est éviter la routine aéroportuaire en développant, par exemple, des mesures environnementales, des nouveaux systèmes de transport électrique, des systèmes de recharge. C’est également être ouvert sur leur territoire afin de démocratiser l’aviation.

Changer de paradigme et s’adapter à l’évolution de la demande, faire évoluer le modèle des aéroports régionaux, c’est dans l’ADN d’EDEIS. C’est pour cela que l’on a concrétisé certains partenariats, notamment celui avec la FFA ou celui concernant l’avion hydrogène.

Féminisation

La féminisation différencie malheureusement les élus des pilotes. L’entrée dans la vie politique d’un grand nombre de femmes ces dernières années n’a pas été suivie dans l’aviation.  On constate que notre industrie, notre loisir, a encore des progrès à faire pour qu’il soit le plus ouvert possible. On peut tous faire le vœu pour cette nouvelle année, vœu cher au club dont je suis membre, d’augmenter sensiblement la présence féminine dans notre pratique de l’aviation.

Jean-Luc KOCH : Alors on a appris que Facebook et LinkedIn pour les politiques c’était très important et lorsqu’ils volent, et qu’ils sont pilotes… il leur faut Facebook ?

Jérôme ARNAUD : Maintenant, grâce à l’innovation du secteur, on peut avoir le wifi dans les avions. J’ai testé le wifi sur le Paris-Toulouse, ça marche bien et ça permet en effet d’être toujours informé alors je suis sûr que les élus vont apprécier ce type d’innovation.

Question : La place de l’aviation civile dans les aéroports de moyennes destinations par rapport aux exigences de rentabilité … 

Jérôme ARNAUD : La tarification des aéroports est régulée par le propriétaire de l’aéroport comme par des instances indépendantes. La régulation est faite au regard des résultats, des investissements, mais également du niveau de la subvention versée par les collectivités le cas échéant. Sur certains aéroports, la moitié des recettes peuvent provenir des subventions. Dans ce cas, la collectivité ne parle plus de rentabilité, mais de diminution de déficit.

Question : Sur la tendance que vous observez de la position du politique, et notamment de l’élu local, à propos de la présence d’un aérodrome. D’un côté, on lit nombre d’articles sur tel aérodrome menacé, parce que le maire, le député a un projet pour récupérer les hectares et en faire quelque chose jugé plus rentable. De l’autre, à l’inverse, et moi j’ai rencontré aussi nombre de politiques et j’ai bien compris qu’ils sont très attachés à maintenir ou à créer des liaisons aériennes parce que c’est un outil de développement de la commune et de la collectivité locale. Je pourrais citer des endroits où il y avait des usines, à Tarbes, à Rouen et bien d’autres. Qu’est-ce que vous pouvez dire sur la tendance que vous observez entre les deux attitudes plutôt opposées ?

Jérôme ARNAUD : On a pu observer une vraie différence entre le discours politique et l’action. Les postures en campagne électorale peuvent être différentes des politiques publiques ensuite mises en place et qui se heurtent généralement à une réalité économique comme administrative contraignante. Finalement, vous prenez toujours le parti de l’économie, celui du chef d’entreprise et puis celui de la réglementation parce que fermer une plateforme, c’est règlementairement très compliqué. Très peu d’élus au pouvoir souhaitent fermer leur aéroport car ils comprennent tous l’intérêt social comme économique d’un tel outil. L’aéroport, c’est un lieu de formation, c’est un lieu de loisir, ça doit être un lieu de vie pour leur population qui accueille des meetings aériens, des événements.